Alors que s’est déroulé fin novembre 2018, un congrès inédit sur les drogues et les dépendances organisée au Vatican par le Dicastère pour le service du développement humain intégral, I.MEDIA a interrogé Tebaldo Vinciguerra. Co-fondateur de l’association Puri di Cuore, il travaille avec des associations familiales et des organisations de l’Eglise sur la question de la pornographie et de la dépendance générée et collabore aussi avec le Dicastère pour le service du développement humain intégral.
Pour lui, l’Eglise à un rôle à jouer pour éviter que la personne dépendante à la pornographie ne se sente “enfermée, indigne d’être aimée“.
Quelle est la situation concernant la dépendance à la pornographie dans le monde ?
En quelques mots : de plus en plus de personnes, de plus en plus facilement et de plus en plus jeunes. Les pays en voie de développement s’alignent rapidement sur les rythmes des pays les plus industrialisés. Avec aussi une augmentation des cas de dépendance chez les femmes, qui ne sont pas épargnées, de même que le clergé ou les conjoints. Les études neurologiques établissent des liens entre d’une part la consommation d’images pornographiques excitantes, et d’autre part le fonctionnement de certaines parties du cerveau, ce que l’on appelle “circuit de la récompense” : ces liens ressemblent à ceux qui se développent lors de l’absorption de drogues. A l’issue d’un cycle d’excitation et de plaisir, il y a un vide, une tristesse, donc est ressenti un besoin de recommencer. Toutefois, avec la pornographie ni substance chimique ni alcool ne sont ingérées.
En France il y a quelques mois seulement, le professeur Israël Nisand, du Collège national de gynécologues et obstétriciens, tirait la sonnette d’alarme en parlant de jeunes de 9-10 ans qui consomment de la pornographie plusieurs heures par jour ! D’autres aussi l’ont fait, et ce même dans l’Eglise : je pense à l’ouvrage Libre pour Aimer publié par la Communauté de l’Emmanuel, ou à la lettre pastorale Rachetés à grand prix d’un évêque américain, Mgr Paul Loverde.
L’Eglise peut-elle apporter un remède à la dépendance à la pornographie ?
Certainement, la dimension spirituelle est très importante pour tout processus de guérison, pour toute motivation devant entraîner une amélioration d’une quelconque situation. Le piège particulièrement atroce pour le chrétien, pour le catholique, est de se sentir enfermé, indigne d’être aimé, à chaque rechute. Donc l’Eglise, porteuse du message d’amour et de pardon du Sauveur, a un rôle particulièrement important à ce sujet. Là où la pornographie vient saper le projet sur la sexualité du Créateur et ternir sa position d’amour inconditionnel, les pasteurs doivent proposer la guérison, et porter la lumière. Cela ne se limite pas à l’indispensable pastorale sur ce sujet, ni à l’éducation sexuelle et affective, mais aussi à une saine collaboration avec les institutions ainsi qu’avec le monde des sciences humaines et médicales. Je connais plusieurs prêtres qui travaillent avec des thérapeutes, et aussi des thérapeutes qui donnent des formations à des prêtres sur ces sujets. Il faudrait davantage développer cette collaboration.
L’industrie pornographique semble particulièrement puissante, la société a-t-elle vraiment les moyens de l’affronter ?
Elle est puissante car elle est diversifiée, des grandes compagnies productrices coexistent en assez bonne intelligence avec une myriade de petits sites, de productions locales et amatoriales, de prostitution via webcam. Face à de telles ‘structures’ déstabilisantes, il faut penser à des ‘structures de grâce’. L’entraide des parents, du milieu scientifique et médical, des éducateurs et de l’Eglise est indispensable. L’éducation sexuelle et affective – c’est l’un des points forts de l’exhortation Amoris laetitia (2016) – doit démarrer à temps, dans une optique intégrale, et être adaptée à l’âge des enfants. Il faut que ceux qui reçoivent une demande d’aide ou perçoivent une situation de détresse ne négligent jamais ces situations mais sachent comment se comporter, comment orienter, et surtout sachent écouter. Chacun doit savoir repérer et éviter ses moments à risque pendant lesquels la tentation est plus forte. Les préparations aux fiançailles, d’autres moments de formation pour les couples et la confession sont des moments privilégiés pour intervenir.
Propos recueillis à Rome, par Arthur Herlin