La lutte contre la pornographie et ses effets dévastateurs se démocratise. Les études universitaires se multiplient, ainsi que les ouvrages et propositions d’aide aux parents qui se sentent dépassés par le fléau qui touche aujourd’hui tant de jeunes. Mais attention : si le diagnostic commence à faire l’objet d’un consensus, les approches sont différentes et souvent au service d’une idéologie précise. Ainsi en va-t-il d’une récente analyse de plusieurs recherches sur la « nouvelle pornographie » publiée par l’université des Baléares. Cette étude espagnole pointe les changements que provoque la nouvelle pornographie dans les relations interpersonnelles des adolescents et des jeunes. Les constats sont effarants ; les remèdes proposés, discutables.
Signée Lluís Ballester Brage, Rosario Pozo Gordaliza et Carmen Orte, l’étude est de gauche et même imprégnée de l’idéologie du genre. Elle accuse « le patriarcat » et la « misère sexuelle » qu’il traîne avec lui, ainsi que le capitalisme « qui pénètre dans la vie privée » par le biais du porno, d’être à la racine des maux du tsunami pornographique.
Les jeunes consomment habituellement du porno dès 14 ans
Mais pour autant il ne faudrait pas passer à côté de leurs recherches dans la mesure où, représentant d’une pensée politique et sociétale bien précise, les auteurs sont bien obligés de faire le constat de la nocivité du visionnage massif de la pornographie par les mineurs. Ils font en outre une description très précise du « saut qualitatif brusque » qu’ont connu les matériaux pornographiques et leur diffusion.
La presse espagnole a retenu de cette étude des faits dramatiques : en Espagne, l’accès des plus jeunes à la pornographie en ligne se fait désormais dès l’âge de huit ans, et sa consommation devient « habituelle » chez les jeunes à quatorze ans. 70 % de cette classe d’âge sont concernés par le visionnage fréquent de contenus pornographiques.
La “nouvelle pornographie” est arrivée en 2008
L’« année charnière » est 2008. C’est alors – un an avant la mise en place mondiale de la 4G, important facteur de facilitation de la diffusion de vidéos pornographiques – que le Smartphone se démocratise. En moins de dix ans, voici l’humanité suréquipée : en 2017, on compte quelque 8 milliards de portables connectés à Internet en service, pour 5 milliards d’utilisateurs individuels.
De plus en plus utilisés pour les besoins quotidiens : renseignements, tenue de comptes, outils de divertissement et de suivi professionnel, applis de rencontre et autres, les téléphones mobiles mettent aussi les images pornographiques à portée de mains où que l’on se trouve, à la faveur de la couverture réseau.
2008, c’est aussi l’année où la prostitution et la pornographie commencent à quitter massivement la rue : finies, les salles dans les quartiers interlopes où le client se rend honteusement. Le porno devient objet de consommation individuelle et immédiate, accessible aux adolescents en particulier.
Nouvelles relations interpersonnelles
dictées par la « décontextualisation » du sexe
Parallèlement – l’un soutient l’autre – la prostitution se fait de plus en plus en appartement, servant même de revenu d’appoint pour des personnes économiquement faibles mais par ailleurs sans lien avec un réseau quelconque, observent les auteurs de l’étude de l’université des Baléares.
Fondée sur de multiples études réalisées dans divers pays, l’article de Ballester, Pozo et Orte synthétise les changements intervenus dans la consommation de la pornographie : la familiarisation précoce avec les « pratiques à risque », la « décontextualisation » de la sexualité qui s’exprime désormais si facilement dans le domaine virtuel, et surtout la « simplification des relations interpersonnelles ».
Tout cela est servi par la qualité technique croissante des vidéos diffusées et leur facilité d’accès gratuit, le volume de production qui répond au besoin du « toujours plus » des grands consommateurs, l’absence de limites, et l’interactivité.
Ce sont les hommes et les jeunes
qui passent le plus de temps à visionner du porno
D’ailleurs, observent les auteurs, la consommation n’a pas cessé d’augmenter en même temps qu’Internet s’est développé. Elle concerne principalement les hommes, et les groupes qui passent le plus de temps sur Internet, à savoir les jeunes et les adolescents, aux termes d’une étude précédemment réalisée par les auteurs de l’université des Baléares.
Ils observent, d’après les études d’Albury en 2014 et Tallon-Hicks en 2016, que la consommation produit davantage d’effets chez les hommes en modifiant leurs schémas de perception et en servant de matériau d’« éducation sexuelle ».
Chez les jeunes, la consommation fait percevoir la femme comme un objet sexuel et augmente significativement l’agressivité sexuelle chez ceux qui y sont enclins. Les auteurs y voient en outre une manière de perpétuer les « stéréotypes de genre ».
L’étude espagnole relève de l’analyse féministe,
mais vise souvent juste
Cette analyse féministe passe, il faut cependant le souligner, à côté de l’essentiel. La pornographie dénature la sexualité en la dissociant de sa fin naturelle qui est la procréation, et ce faisant porte atteinte aux femmes précisément dans leur dimension maternelle, que cette maternité soit spirituelle ou physique. En ce sens, une certaine forme de lutte contre la pornographie peut s’avérer elle aussi destructurante, même si elle développe une critique digne d’intérêt.
Les universitaires espagnols notent en particulier que les adolescents et adolescentes confrontées à la pornographie sont amenés à douter de leur attrait physique, se sentant « inférieurs » aux hommes et aux femmes qu’ils voient dans les vidéos pornographiques.
Une étude de vingt ans de consommation de porno par les jeunes amène par exemple les chercheurs Peter et Valkenburg à constater que celle-ci « conditionne leurs attitudes sexuelles ». Cela va des exigences précises à l’égard des partenaires et des pratiques à risque à l’habitude de diffuser des images sexuelles de soi-même par Internet.
Porno et prostitution vont de pair :
la “nouvelle pornographie” fait changer les mœurs
D’autres études montrent que la consommation incite à obtenir plus facilement des relations sexuelles avec des personnes recherchées à cette fin sur les réseaux sociaux. Pornographie en ligne et consommation de prostitution d’ailleurs suggérée par les sites vont ainsi de pair.
Sans surprise, la consommation de pornographie violente est corrélée avec un risque nettement plus élevé de participer à des agressions sexuelles (Owens, Behun, Manning, Reid, 2012).
« La nouvelle pornographie forme l’habitus, et l’habitus implique un exercice modifié de la sexualité, confirmé chaque jour par d’autres agents qui provoquent toute une série de comportements et qui modifient sensiblement les modes d’apprentissage », observent les auteurs.
En clair : c’est l’homme lui-même qui est en train d’être modifié dans son être et dans ses relations, non par son expérience propre mais par ce qu’il voit… de plus dégradant. Ce sont des influences « négatives », selon les auteurs, « dont les conséquences à moyen et à long terme sont imprévisibles ».
L’incapacité à avoir une relation véritablement humaine
sur le plan du sexe
Parmi elles, une « incapacité croissante à avoir des relations de séduction et des relations sexuelles non organisées » et « l’incapacité à maintenir une relation stable avec un partenaire après quelques expériences sexuelles partagées » – alors que la relation sexuelle normale, faudrait-il ajouter, a un effet unitif au service de la stabilité du couple.
Les adolescents ont aussi la possibilité de choisir leur partenaire sexuel à travers les plateformes de rencontres : après le bébé sur mesure, le marché des couples, sans coût ni responsabilité ? Tout cela a pour effet de « simplifier » les relations tout en leur permettant de partir dans tous les sens.
Dans un développement très intéressant, les auteurs notent que « beaucoup de garçons adolescents ont connu leurs meilleures expériences sexuelles grâce à la nouvelle pornographie ».
Comment la “nouvelle pornographie” captive les jeunes
Pardon pour les termes crus, mais c’est révélateur : « On ne peut le nier, et c’est l’un des facteurs les plus puissants pour pousser à consommer du porno en ligne : ils ont fait l’expérience de leurs meilleures masturbations grâce à la nouvelle pornographie. Si l’on nie cette force, la capacité addictive de la nouvelle pornographie, on s’interdit de comprendre le phénomène. »
C’est pourquoi, expliquent les auteurs, il ne sert à rien de dire aux jeunes que « la pornographie, c’est toujours pareil et ennuyeux », alors qu’ils la perçoivent comme « variée et diverse, montrant des pratiques très différentes et répondant à toutes leurs demandes ». « Si on ne comprend pas cela, on ne comprend pas non plus comment un adolescent peut passer des heures et des heures à visionner des vidéos pornographiques. »
Et de préciser que le porno d’aujourd’hui n’a rien à voir avec le « porno de papa » ; notamment parce la vidéo permet de mettre en scène violence et pratiques extrêmes.
Une étude qui passe à côté d’un constat :
la pornographie est devenu un instrument révolutionnaire
Hélas, les auteurs en profitent pour prôner à leur tour une libération sexuelle, différente certes, mais toute fondée sur le « consentement » et le « plaisir partagé ». Autrement dit, ils ne conçoivent pas la possibilité d’une éducation à la chasteté et à la pureté, qu’ils présentent comme naïve au mieux, « paternaliste » au pire. D’où un plaidoyer pour l’« éducation sexuelle » moderne, même si le rôle des familles est clairement affirmé et qu’elles sont même invitées à s’impliquer bien davantage.
L’approche reste franchement relativiste. Mais il est intéressant de voir reconnaître, y compris depuis « la gauche », le profond changement anthropologique amené par l’accès quasi universel et tellement simple à la pornographie. Celle-ci est devenue de ce fait un vecteur de révolution sociétale à part entière, plus efficace que n’importe quel mouvement de rue pour « changer l’homme ».
Se révèle également à travers ce constat l’intérêt d’utiliser la pornographie pour déstabiliser la société, et c’est pourquoi on peut se demander si la difficulté d’agir contre l’accès facile aux vidéos pornographiques n’est pas le résultat d’une politique délibérée.
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