Le gouvernement français a mis en ligne, le 11 février, une plateforme de prévention afin protéger les enfants de la pornographie (du moins, sur le papier).
Ce sujet est un fil rouge du quinquennat d’Emmanuel Macron. Il tweetait à ce sujet le 25 novembre 2017 :
La pornographie a franchi la porte des établissements scolaires. Nous ne pouvons ignorer ce genre qui fait de la femme un objet d'humiliation. #NeRienLaisserPasser
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) November 25, 2017
Fin 2019, le président de la République prononçait un discours (à lire ici) à l’UNESCO s’alarmant de la facilité d’accès des contenus pornographiques et des conséquences sur les mineurs. Il donnait alors un délai de 6 mois aux fournisseurs d’accès à internet pour trouver une solution. Si la promesse n’a pas été tenue dans les temps, la loi a bien été modifiée à l’été 2020 pour, d’une part, donner un pouvoir de contrôle au CSA et, d’autre part, interdire la simple déclaration de majorité comme un mécanisme de contrôle. A ce jour la loi n’est toujours pas respectée.
Cette démarche du gouvernement s’inscrit dans un cadre plus général de protection des familles et de lutte contre les violences faites aux femmes. Mais en la matière, nous avons vu beaucoup de déclarations peu suivies d’effets : cela tient notamment aux nombreuses incohérences qui caractérisent l’approche qu’a le gouvernement du fléau de la pornographie.
La plateforme jeprotegemonenfant.gouv.fr est le dernier né de la politique gouvernementale.
L’intention est peut-être louable, mais le résultat est clairement insuffisant. Pire, la plateforme présente de vrais dangers et risque clairement d’aggraver les effets qu’elle entend combattre. Explications :
- A première vue, rien de bien méchant : la plateforme entend donner des informations « à destination des parents pour lutter contre l’exposition des mineurs aux contenus pornographiques en ligne. »
- Sur la page d’accueil, un message s’affiche et informe l’internaute que la pornographie «peut » avoir des conséquences néfastes sur les jeunes, alors même que ces dommages sont certains et systématiques. Pourquoi prendre de telles précautions langagières ? Les études démontrent à l’envi des effets nocifs sur tous les consommateurs. L’exposition des mineurs au porno est particulièrement grave puisqu’elle s’apparente à un « viol psychique » sur des êtres immatures, selon les termes employés par les pédopsychiatres.
- Quelques chiffres sont publiés, mais rappelons qu’ils sont à prendre avec beaucoup de précaution. En l’occurrence, il est écrit qu’un enfant sur trois, âgé de 12 ans, a déjà été exposé à des contenus pornographiques. Pourtant, le secrétaire d’Etat chargé de l’Enfance donnait un chiffre plus élevé lors d’un débat au sénat à l’été 2020. En la matière, il faut toujours rester prudent : les chiffres sont très largement sous-estimés, surtout si l’on considère les « contenus pornographiques » dans une acception large.
- En décortiquant toute la page d’accueil, on reste sur des considérations très générales et plutôt consensuelles. On aurait aimé un engagement (affiché) plus ferme pour protéger ce que la société a de plus cher : la jeunesse et la vie. La « pornographie » n’est jamais vraiment définie et on ne sait pas trop, au juste, pourquoi il ne faut pas en regarder…
- La page d’accueil propose trois onglets pour prévenir ou protéger les enfants de la pornographie : « vos outils », « vos questions » et « vos ressources ».
- L’onglet « vos outils » ne présente pas ou peu d’intérêt : on retrouve une liste des opérateurs mobiles et des équipementiers avec de courtes notices. Les informations partagées ne sont presque d’aucune aide.
- S’il en a réellement la prétention – protéger les enfants des contenus pornos numériques, l’État devrait proposer de véritables outils, précis et détaillés, ce qui n’est pas le cas.
- On note une phrase bienvenue que Stop au porno ne cesse de rappeler : « Le contrôle parental est avant tout un outil, il n’est pas infaillible et ne se substitue pas à la vigilance, à l’écoute et au dialogue avec votre enfant »
- L’onglet « vos questions » est plutôt généraliste et n’apporte pas grand-chose. On dénote une incapacité, dans les réponses, à expliquer précisément pourquoi la pornographie est mauvaise pour l’enfant.
- Le message du gouvernement tend à remettre les parents au centre. Mais, en même temps, on sait que l’école contourne en permanence les parents et leur rôle d’éducateurs. C’est une contradiction manifeste que ce gouvernement n’arrive pas à résoudre.
- Quelques ressources, dangereuses et éminemment condamnables, sont dispensées dans l’onglet. Nous les commentons dans le point suivant.
- L’onglet « vos ressources » est la partie la plus néfaste du site. Tout est mélangé : on retrouve du bon et du mauvais, et soyons francs, surtout du (très) mauvais.
- Les supports sont variés : vidéos, blogs, livres et etc. Dans les titres et les textes, il n’y a ni précaution de langage ni pudeur. Comment prétendre lutter contre la pornographie en la banalisant ?
- On aperçoit une vidéo intitulée « le porno, c’est du cinéma » où figurent plusieurs intervenants dont une actrice porno… Quoi de mieux qu’une actrice pour faire de la prévention sur les ravages du porno ?! Pourquoi ne pas demander, dans ce cas, à McDonald’s de parler nutrition et à Philip Morris de lutter contre le tabagisme ! Vous l’aurez compris, c’est une question de principe, indépendamment du fond du message de l’intervenante.
- Toujours dans les ressources, nous retrouvons le tristement fameux « Zizi sexuel » (de la BD Titeuf) avec ses dessins vulgaires censés éduquer et répondre aux questions des enfants. Tout ou presque tourne autour du sexe de la manière la plus grossière. A l’évidence, nous ne recommandons pas ce livre extrêmement néfaste pour les enfants. Vigilance pour les parents : il ne s’agit pas d’une BD anodine !
- Un autre lien est une vidéo censée expliquer « comment réussir sa première fois ? », comme s’il s’agissait du rôle de l’Etat de répondre à ces questions… Il s’agit d’une part d’une intrusion inacceptable dans l’intimité de la part d’une instance gouvernementale dont ce n’est pas le rôle. D’autre part, il s’agit évidemment d’une incitation, pour les jeunes, à avoir une vie sexuelle précoce porteuse de nombreuses dérives. Systématiquement, l’aspect technique, mécanique et purement physique de la sexualité est privilégié.
- Comme pour les autres ressources, tout est hyper-sexualisé, du vocabulaire au visuel.
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On se trouve dans une idéologie de l’expérimentation à tout prix et du passage à l’acte. Aucune ressource ne propose une réflexion sur la maturité affective, le bonheur ou la morale.
- Pour ne pas en faire la publicité, nous ne nommerons pas tous les sites de la plateforme. Mais nous sommes contraints d’évoquer onsexprime.fr supposé être un site gouvernemental pour les jeunes sur la sexualité. Le collectif France Audace, associé à Stop au porno, a porté plainte contre l’Éducation Nationale en 2017 pour avoir diffusé des kits d’éducation sexuelle émanant de ce site. Pour cause, les textes et représentations sont clairement pornographiques. Là encore, c’est le passage à l’acte qui est encouragé au motif que tout ou presque est permis, possible et souhaitable au nom du plaisir. Comment espérer lutter contre la pornographie avec un tel présupposé de base ?
Voir la liste de nos actions en justice ICI
- D’ailleurs, le site onsexprime.fr, présenté par la plateforme du gouvernement sensée protéger les enfants de la pornographie, précise ceci : « La consommation de pornographie est très élevée dans la population, chez les ados comme chez les adultes, chez les garçons comme chez les filles. Est-ce si grave ? Pas vraiment. » Il s’agit non seulement d’une contradiction dans les « objectifs » gouvernementaux, mais aussi d’une ignominie quand on sait les effets absolument délétères du porno sur les individus.
Conclusion
La plateforme jeprotegemonenfant.gouv.fr est avant tout destinée à de la propagande sexuelle sans donner des outils efficaces de lutte contre la pornographie chez les plus jeunes. A ce titre, les ressources qu’elle contient sont particulièrement néfastes pour les enfants et les adolescents.
Le site est révélateur de l’hyper-sexualisation de la société et participe à l’atmosphère pornographique qui rend difficile le discernement. Il reprend également tous les travers de « l’éducation sexuelle » promue par l’école où l’on traite uniformément tous les enfants. Pourtant, les parents savent que chaque enfant est unique : sa sensibilité, son intimité et son développement affectif différent des autres enfants.
Certains contenus partagés par la plateforme peuvent, pour paraphraser Maurice Berger, pédopsychiatre de renom, « faire intrusion de manière traumatique dans le rythme de croissance affective des enfants. ».
Nous recommandons évidemment aux parents d’éviter ce site.
- L’association Stop au porno va prochainement sortir un livre sur les filtres pour réellement protéger les jeunes de la pornographie lorsqu’ils surfent sur internet. Vous pourrez bientôt le commander !
- N’oubliez pas que rien ne remplacera jamais les parents dans leur rôle d’éducateur.