La lutte contre la pornographie ne se limite pas aux frontières nationales : c’est un enjeu de civilisation. En Europe, des associations mènent avec détermination ce combat, notamment auprès des instances de l’Union Européenne. A ce titre, nous avons pu interviewer Bénédicte Colin, Responsable de Projets au bureau Bruxellois de la FAFCE, acteur engagé sur le sujet.
- Pouvez-vous présenter votre fédération et son action ?
La Fédération des Associations Familiales Catholiques en Europe (FAFCE – lien du site ICI) est une organisation parapluie rassemblant 28 associations familiales de toute l’Europe. Notre travail consiste à porter la voix de nos associations membres et à les informer de l’actualité européenne sur les questions familiales. Les activités de la FAFCE se résument donc en un travail de représentation et de promotion de la famille au niveau de l’Union européenne à Bruxelles et du Conseil de l’Europe à Strasbourg. Nous avons en effet un statut participatif auprès du Conseil de l’Europe depuis 2001 et sommes membres de la Plateforme des droits fondamentaux de l’UE. Nous rappelons le rôle premier de la famille et du besoin logique de mettre en place des politiques familiales.
Les sujets de la FAFCE sont variés : enjeux démographiques, justice fiscale, équilibre entre vie familiale et professionnelle, accès au logement, éducation des enfants, égalité d’opportunités des hommes et des femmes, protection de la vie, écologie intégrale ou encore soin aux personnes âgées, mais aussi des thèmes moins réjouissants comme la lutte contre la pornographie.
- Croyez-vous que la pornographie soit aujourd’hui une menace pour les familles et, plus largement, pour la société ?
La pornographie est un fléau pour toute la société. C’est un phénomène titanesque qui pose la question sérieuse de notre rapport à la sexualité en Europe.
La pornographie est tout d’abord un fléau en termes d’éducation à la sexualité pour les enfants. Nombreux sont les parents qui se trouvent démunis en apprenant que leur enfant regarde de la pornographie, s’ils ont la chance même d’en avoir conscience. Des enfants et des adolescents qui visionnent de la pornographie développent une confiance en soi, un rapport à leur corps et à celui de l’autre profondément perturbés. Cela créée en eux des attentes irréalistes, détachées de tout attachement émotionnel et bien souvent violentes de la sexualité qui auront un impact à l’âge adulte.
La pornographie pose autant de problèmes à l’âge adulte, hommes et femmes confondus. L’addiction à la pornographie a des conséquences désastreuses pour l’équilibre psychologique de ses consommateurs. Car la pornographie ne se confine pas à la seule sphère de l’intime sexuel, mais touche à l’intégration sociale, professionnelle et relationnelle de toute personne.
Pour les couples, loin de « pimenter » la vie sexuelle, la pornographie a un impact catastrophique sur la relation. En essence, la pornographie promeut une vision de la sexualité comme un produit de consommation, détaché de toute notion de fidélité, basé sur le seul plaisir personnel et sans aucune notion de consentement. Celle-ci impacte donc la vie sexuelle, la confiance mutuelle, la fidélité et la longévité des couples.
De surcroit, la pornographie ne pose pas seulement problème pour ceux qui la visionnent, mais aussi pour ceux y participent. Les conditions de travail des acteurs pornographiques peuvent très facilement s’apparenter à des traitements dégradants, une violation de l’Article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le seul consentement des acteurs porno ne peut suffire à justifier une industrie florissante d’exploitation sexuelle. Enfin, non va sans dire que l’industrie pornographique tire sans vergogne profit des pires crimes – viols, torture, abus sexuels sur enfants – tout en promouvant de manière généralisée une vision sexiste, raciste et violente de la sexualité.
- Pouvez-vous nous donner l’exemple d’une action ou d’une mesure concrète contre la pornographie que vous avez portée au niveau européen ?
Comme évoqué précédemment, nous travaillons à un double niveau : le droit européen au niveau de l’UE, et les droits de l’homme au niveau du Conseil de l’Europe.
Au niveau de l’Union européenne,nous travaillons là où l’UE possède des compétences, c’est-à-dire concernant les aspects transnationaux de la pornographie. Sur le plan digital, l’Union européenne organise la coopération européenne pour un Internet «sûr», ce qui inclut par exemple la lutte contre la pédopornographie. La FAFCE travaille depuis 2016 sur les questions d’audiovisuel. Actuellement, l’UE doit répondre à un problème posé par la directive ePrivacy, qui assure une confidentialité totale des communications en ligne, empêchant aux outils de détection automatique de pédopornographie de fonctionner. La Commission européenne a proposé en septembre 2020 une dérogation temporaire, et prévoit pour juillet 2021 une nouvelle législation pour obliger les fournisseurs de services en ligne à détecter, signaler et supprimer les contenus pédopornographiques.Nous avons produit de nombreuses contributions publiques, articles et lettres pour encourager la Commission européenne dans cette direction. Nous sommes également intervenus en décembre dernier au Parlement européen lors d’une conférence sur l’hypersexualisation des enfants, et avons rappelé le besoin d’appliquer réellement l’interdiction de l’accès des enfants à la pornographie en ligne.
Au niveau du Conseil de l’Europe, nous travaillons sur la pornographie en termes de droits de l’homme. Deux rapports sont actuellement en cours à l’Assemblée Parlementaire : « Pour une évaluation des moyens et des dispositifs luttant contre l’exposition des enfants aux contenus pornographiques », avec comme rapporteur un député français, Dimitri Houbron, et « Dimension sexiste et effets de la pornographie sur les droits humains ». Nous suivons l’avancée de ces rapports avec beaucoup d’attention, et partageons notre approche, notre expertise et nos préoccupations durant les différentes étapes de préparation des rapports.
De manière générale, nous rappelons dans tout notre travail le rôle premier des parents concernant l’éducation de leurs enfants, dont l’éducation à la sexualité. Les parents doivent être soutenus, informés et reconnus dans leur rôle et leur responsabilité d’éduquer et de protéger leurs enfants. Il s’agit d’un travail de fond, mais dont la récurrence permet aux institutions européennes de ne pas oublier cette évidence.
- Comment voyez-vous l’avenir de la lutte contre la pornographie ? Etes-vous optimiste ou pessimiste sur le sujet ?
On constate une véritable prise de conscience politique de ce phénomène de société, bien que négligeant souvent son ampleur. Au niveau européen, il existe un consensus sur le rejet de la pornographie dans ses abus les plus clairs (trafic d’êtres humains, viols et violence envers les femmes, “revenge porn”, pédopornographie, stéréotypes sexuels).Néanmoins les difficultés commencent lorsque l’on commence à parler du problème de la pornographie non dans ses excès, mais dans sa nature propre. Il n’y a aucune volonté politique de reconnaitre la pornographie comme problème de santé publique. La pornographie est défendue par les arguments de liberté d’expression ou encore d’expression de sa sexualité.
Nous ne pouvons cependant être pessimistes.Face à une réalité pourtant si affligeante, nous rencontrons chaque jour des personnes engagées, votre association, des experts du domaine technologique, psychologique ou encore médical, nos associations membres également, qui font un travail formidable.
N’oublions pas non plus la richesse de l’enseignement de l’Église catholique. La lutte contre la pornographie commence aussi par un travail de fond sur la nature humaine et sur notre relation au corps. D’un point de vue catholique, cela ne peut pas être mieux adressé que par la Théologie du corps, qui est le fondement d’un rapport sain à la sexualité.