Nicolas Bauer est chercheur associé au European Centre for Law and Justice (ECLJ) et doctorant en droit à l’université de Strasbourg. Il a écrit une remarquable tribune que nous partageons ici.
La production pornographique est souvent critiquée lorsqu’elle est accessible aux enfants ou génère des addictions. Il est en revanche plus rare que l’on s’intéresse de près à la condition de ceux que l’on appelle maintenant les «travailleurs du sexe». En avril 2021, le leader français du «porno» Dorcel a cherché à promouvoir une «Charte déontologique de la production X», visant à fixer un cadre protégeant ces personnes. Il s’agissait alors de faire oublier la mise en examen de producteurs et collaborateurs de Dorcel pour viol, proxénétisme aggravé et traite d’êtres humains aggravée, trois mois après une enquête similaire visant le site «Jacquie et Michel».
Au-delà de ces plaintes d’actrices, des associations féministes comme le Mouvement du Nid dénoncent l’existence d’un problème systémique de traite d’êtres humains dans l’«industrie du sexe». Pour lutter contre la traite, un cadre juridique complet s’est développé ces deux dernières décennies, au niveau international, puis européen. Néanmoins, son potentiel contre les excès de la pornographie est largement sous-exploité, car il se heurte à un tabou. Il n’est pas exagéré d’affirmer que la pornographie est la grande oubliée de la réflexion juridique et politique sur la traite des êtres humains.
Les premiers efforts internationaux contre la traite visaient à protéger les femmes de la prostitution. Ainsi, en 1910, une convention internationale réprimant la «traite des blanches» était signée à Paris. D’autres ont suivi durant les décennies suivantes, élargissant peu à peu la question à toutes les formes de trafic sexuel, puis à partir de 2000 à toutes les situations de traite d’êtres humains. Pour autant, le cas de traite le plus répandu dans le monde occidental reste le trafic sexuel et c’est toujours sur la prostitution que se focalise la lutte contre la traite. Il faut dire que le droit international interdit explicitement «l’exploitation de la prostitution d’autrui» (proxénétisme).
Il existe une profusion de rapports des instances des Nations unies et du Conseil de l’Europe sur la traite des êtres humains, en particulier la prostitution, mais aucun ne s’intéresse de près à la pornographie. Pourtant, prostitution et pornographie ont plusieurs points communs. Dans les deux cas, les corps sont loués, en échange d’argent, pour le plaisir d’autrui. Pornographie vient du grec πόρνη [pórnê], qui veut dire « prostituée » ; il n’est d’ailleurs pas rare que les actrices pornographiques se prostituent ou aient été prostituées par le passé. Certaines activités, comme celle des «camgirls», correspondent à la fois à de la prostitution et à de la pornographie. Le sociologue Sonny Perseil va jusqu’à qualifier la pornographie en général de «prostitution filmée».
Lire l’intégralité de la tribune en cliquant ICI