Mardi 14 juin, le patron et quatre autres collaborateurs du site pornographique Jacquie et Michel ont été placés en garde à vue pour « proxénétisme » et « viols ». François Billot de Lochner dirige l’association « Stop au porno » et nous explique les horreurs de l’industrie pornographique.
Une enquête pour viols et proxénétisme a été ouverte à l’encontre du site pornographique Jacquie et Michel. Le propriétaire du site a été placé en garde à vue mardi 14 juin. Pouvez-vous nous résumer la situation ?
Jacquie et Michel est un site pornographique qui a une particularité catastrophique : les dirigeants ont toujours essayé d’expliquer que c’était du « porno soft », que ça ne posait pas de problèmes, que la pornographie en petite dose n’était pas si mal, qu’en plus ils utilisaient non pas des « actrices » mais des gens qui regardaient leurs propres vidéos de façon conviviale. Surprise : tout cela était un énorme mensonge. Ils sont accusés de proxénétisme et de viols, et on sait maintenant que Jacquie et Michel paye des « actrices » qui sont horriblement maltraitées et suicidaires. Ce site est la boîte de l’horreur. Tout cela a été raconté par Robin d’Angelo dans son livre Judy, Lola, Sofia et moi.
Ce que je trouve extraordinaire dans cette histoire, c’est que de façon inattendue on se penche enfin sur des gens dont le comportement est absolument aberrant. L’arrestation des patrons d’un des plus grands sites pornographiques de France est extrêmement importante pour la suite, car maintenant les patrons des autres plateformes vont peut-être commencer à voir peur et se dire qu’il y a un vrai problème. La peur peut changer de camp. Je trouve que c’est exceptionnel. Je ne cache pas mon plaisir de savoir qu’enfin sont épinglés des dirigeants dont l’activité professionnelle et l’action personnelle sont hautement répréhensibles.
Il y a toutefois une énorme contradiction car si cinq personnes de ce milieu ont été arrêtées (le patron, sa femme et trois autres personnes), parallèlement la société est pornographiée dans « la joie et le bonheur ». Il va falloir se décider sur ce que l’on veut.
Ce qui est reproché à ce groupe en particulier est-il général dans le monde de la pornographie ?
Totalement. En comparant ce cas avec d’autres dossiers, on se rend compte que de manière générale, il y a dans le monde de la pornographie des déviances insupportables au niveau des dirigeants. A priori, pour s’investir dans ce secteur d’activité, il faut avoir le cuir épais. En plus de cela, à partir du moment où défilent dans les bureaux des jeunes filles qui vont être traitées comme on le sait, on ne peut pas imaginer que les dirigeants se contentent simplement de regarder si les comptes en banque sont bons. Il y a clairement d’autres choses qui se passent. Quand on rentre dans ce milieu-là, on sait parfaitement ce que l’on veut, et les actions personnelles sont en conformité avec le métier.
Quelles devraient être les sanctions dans des situations comme celle-ci ?
On est dans une affaire d’esclavage humain, de traite humaine. C’est un cas de violence extrême, donc les sanctions devraient être l’emprisonnement à vie et une très forte amende. Il n’y a même pas de débat. On peut un peu comparer cette affaire à l’affaire Epstein : si « on ne l’avait pas suicidé », il en prenait grosso modo jusqu’à sa mort en prison, tout comme Ghislaine Maxwell, si « on ne la suicide pas ». Je pense donc que les dirigeants de Jacquie et Michel risquent très gros. Cependant, la justice française est d’un laxisme incroyable. Il n’est donc pas du tout exclu qu’ils soient condamnés à la prison mais qu’ils puissent sortir deux ans après pour reprendre leurs activités.
En tant que président de « Stop au porno », je suis toutefois très content parce que nous avions travaillé sur le sujet Jacquie et Michel il y a deux ans et demi. Au lieu « d’attaquer » le site porno directement, on a plutôt mis en demeure les partenaires dont Canal Plus qui avait fait un partenariat télévisuel avec Jacquie et Michel, en leur disant qu’ils pouvaient être mis en cause pour complicité de diffusion de pornographie. Je pense que cela a énormément joué dans l’arrestation des patrons de Jacquie et Michel d’il y a quelques jours. On a également mis en justice, il y a quelques années, le Conseil supérieur de l’Audiovisuel (CSA) et quelques mois après, il a mis en demeure cinq sites pornographiques pour les enjoindre à mettre en place de véritables contrôles afin d’éviter que les enfants aient un accès libre aux sites pornographiques. On doit agir pour diminuer ce fléau épouvantable de la pornographie.
Tout en critiquant ces dérives, certains essayent de sauver le porno en prônant un « porno éthique ». Que leur répondez-vous ?
C’est l’escroquerie du siècle. C’est le degré zéro de l’intelligence. C’est comme dire que l’on développe une criminalité conviviale, ou que l’on ouvre un camp de concentration sympathique. Ce sont des choses complètement antinomiques. La pornographie, par définition, ne peut pas être éthique, ce n’est pas possible. Les gens se disent qu’un peu de pornographie équivaut à de l’éducation sexuelle pour les jeunes, que finalement c’est seulement de l’érotisme, et ainsi on rentre dans le relativisme absolu. Toutes les études sérieuses des dernières années disent que le porno dit soft ou éthique amène mécaniquement à la pornographie la plus violente. Personne ne peut démarrer avec de la pornographie soft sans très vite aller vers une pornographie beaucoup plus violente.
Maintenant, on sait que le porno détruit le cœur et le corps, l’esprit et l’âme. La femme devient très vite un objet de consommation pour l’homme et inversement, l’homme devient une machine à jouir pour les femmes. D’où la destruction du cœur. En revanche, du côté du corps, la dopamine est détruite par le porno. Cette substance permet d’exciter les sens, et le porno la rend inefficace, ce qui fait qu’il y a énormément de cas d’impuissance chez ceux qui regardent de la pornographie. La dopamine ne joue plus son rôle – c’est pour cela que ce qu’on regarde devient de plus en plus violent –, le corps ne réagit plus, la sexualité est tuée. Enfin, le porno détruit le lien social, ce qui est un drame.
Cette affaire ne nous dit-elle pas, au fond, qu’il faut lutter contre la pornographie non seulement pour protéger les jeunes, mais aussi les acteurs et actrices ?
C’est évident : les acteurs et les actrices vivent un véritable enfer. Le livre de Robin d’Angelo montre le calvaire vécu par les acteurs. Au départ, on explique aux acteurs que ce travail sera comme tout autre, qu’il sera très « soft », qu’ils seront très bien payés. Mais après les premiers jours, il est impossible de s’en sortir et ils sont soumis à toutes les perversités. C’est un cycle immonde duquel il est difficile de sortir.
La protection actuelle de cette « population » est extrêmement fragile. Les promesses financières qui leur sont faites ne sont pas plus que de simples promesses. Jacquie et Michel paye extrêmement mal ses acteurs. Il faut donc eux aussi les protéger. De tous les points de vue, la pornographie est l’industrie du mensonge.
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