Quatre sénatrices, Annick Billon (UDI), Alexandra Borchio Fontimp (LR), Laurence Cohen (PCF) et Laurence Rossignol (PS) ont rendu, le 28 septembre dernier, un rapport « explosif » sur l’industrie pornographique jugée « prédatrice » et qu’il est « urgent d’encadrer ». De son côté, l’ARCOM (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, l’ancien CSA) se lance dans une bataille judicaire contre cinq des principaux sites pornographiques mondiaux et leurs fournisseurs d’accès. L’occasion, pour BV, d’interroger François Billot de Lochner, qui préside l’association Stop au porno, dont l’objet est de lutter contre le fléau pornographique.
Sabine de Villeroché. Le porno, ça nous concerne tous ?
François Billot de Lochner. Oui, hélas ! Une erreur actuelle considérable consiste à dire que cela ne concerne que les mineurs. Or, la pornographie, qui concerne évidemment les mineurs, touche la population dans son ensemble. Un seul chiffre : au moment où nous nous parlons, Google nous indique que 35% à 40 % des connexions sur son moteur de recherche concernent des sites pornographiques. En son temps, la série de films pornographiques Emmanuelle a enregistré près de 10 millions d’entrées d’adultes. Et je ne parle pas des radios pornographiques comme Skyrock ou Fun Radio, dont l’audience est comprise, tous les soirs, entre 5 et 10 millions de personnes.
S. d. V. Le rapport du Sénat et la procédure judiciaire qui est en cours sont-ils le signe d’une prise de conscience inédite des pouvoirs publics ?
F. B. d. L. Vous avez parfaitement raison : les pouvoirs publics semblent enfin prendre conscience du fléau de la pornographie. Cela dit, ne soyons pas naïfs : les rapports sont souvent faits pour être enterrés et les procédures judiciaires sont souvent des échecs. Nous parlons en connaissance de cause, car les procédures judiciaires lancées par notre association ne donnent que des résultats mitigés. Pourtant, ne boudons pas notre plaisir : ce rapport du Sénat a le mérite de mettre le sujet de la pornographie au cœur de l’actualité et les procédures judiciaires ont le mérite de faire trembler les pornocrates de tous poils.
S. d. V. Croyez-vous à l’efficacité des propositions destinées à limiter l’accès aux mineurs, comme la réelle mise en place des trois séances annuelles d’éducation sexuelle à l’école en y introduisant des « sujets relatifs à la marchandisation des corps et à la pornographie » ou encore le renforcement de la marge d’action de l’ARCOM, le gendarme français d’Internet ?
F. B. d. L. Dans l’état actuel de la société, je pense que la proposition de séances d’éducation sexuelle à l’école est catastrophique. En effet, ces séances existent déjà, sont l’apanage de mouvements ou d’associations libertaires comme LGBT, consistent à « libérer » les enfants de toute contrainte sexuelle et contribuent donc à l’évidence au développement de la pornographie. En revanche, donner davantage de marge d’action à l’ARCOM pourrait être une bonne chose, à condition que cette structure utilise déjà les pouvoirs qui sont les siens. Or, nous savons d’expérience que l’ARCOM, ex-CSA, n’a à peu près jamais rien fait jusqu’ici, ce qui nous a amenés à enclencher une procédure contre cette organisation. Peut-être est-ce la raison pour laquelle celle-ci, sentant le vent du boulet, a enfin déclenché une action contre plusieurs sites hautement pornographiques.
S. d. V. Le porno, c’est aussi la mise en danger des femmes. Pour les sénatrices auteurs du rapport, il faudrait renforcer l’arsenal judicaire pour mieux protéger les actrices. Elles appellent à un mouvement MeToo de la pornographie, est-ce souhaitable ?
F. B. d. L. À l’évidence, les « actrices » pornographiques vivent un enfer, parfaitement décrit dans un certain nombre d’ouvrages de femmes qui ont eu un passé d’« actrices » et qui ont réussi à s’en sortir. Au sein de cette population, la violence, les viols, l’esclavage, la maltraitance sont monnaie courante. Des dirigeants de plusieurs sites pornographiques sont actuellement – et je dirais : enfin ! – mis en examen ou incarcérés pour toutes ces raisons. Le renforcement de l’arsenal judiciaire est un impératif et doit être à ce point implacable que les responsables et profiteurs de l’industrie pornographique, comprenant le risque majeur qu’ils courent en continuant ce type d’activité, l’arrêtent purement et simplement.
S. d. V. Parlez-nous de votre association Stop au porno : quelles sont ses objectifs et préconisations ?
F. B. d. L. Notre association s’est fixée quatre objectifs.
Tout d’abord, secouer le milieu politico-médiatique pour qu’il prenne conscience du fléau de la pornographie. Nous avons, par exemple, provoqué un débat entre des députés et un ministre au palais Bourbon, ce qui ne s’était jamais fait. Autre exemple : nous avons envoyé à la représentation nationale un livre et un DVD pour les alerter sur les dangers de la pornographie, ce qui n’a sans doute pas été inutile, puisque nous constatons que le Sénat vient de produire un rapport. Ensuite, développer la prise de conscience de tous, en multipliant les conférences, les articles de presse, les interventions télévisuelles : je serai, par exemple, à Nantes, ce soir, pour une grande conférence-débat sur ce sujet. Troisième objectif, aider les parents dont la tâche sur ce sujet est bien difficile : nous avons édité à leur intention un petit roman familial, Les Parfums du château, permettant d’ouvrir les discussions en famille, et un livre sur la façon de se protéger d’Internet (Les filtres qui marchent vraiment contre la pornographie, édité par Stop au porno). Les témoignages nombreux que nous recevons tendent à prouver que cet objectif est atteint. Dernier objectif : aider les personnes qui sont tombées dans la pornographie, au moyen de notre cellule d’écoute.
En clair, nos combats sont multiformes et Stop au porno a la ferme intention de les développer et les intensifier dans les mois et années à venir. Car combattre la pornographie est un devoir absolu.
Retrouver l’article sur le site de Boulevard Voltaire