Source [Actu juridique] : Depuis bientôt deux ans, l’Arcom tente de contraindre les sites pornographiques à mettre en place des procédés techniques sérieux de contrôle d’âge des internautes qui accèdent à leurs sites, afin que la protection des mineurs organisée par le droit pénal soit effective. Il y a à la fois une procédure civile en cours, basée notamment sur le décret qui met en œuvre ce dispositif, et un recours administratif, contestant la légalité du décret sur lequel s’appuie le régulateur pour mettre en demeure les sites d’adopter ces dispositifs techniques. Dans ce dernier contentieux, le Conseil d’État a, par sa décision du 6 mars 2024, adressé plusieurs questions préjudicielles à la CJUE pour déterminer quelle était la marge de manœuvre des États membres à l’encontre des sites qui ne respectent pas leur législation. Nous avons demandé au professeur Marie-Anne Frison-Roche, spécialiste de droit de la compliance, de nous éclairer sur les enjeux de ce contentieux hors normes.
Actu-Juridique : Pouvez-vous nous rappeler brièvement la genèse de ce cas manifestement complexe ?
Marie-Anne Frison-Roche : Le 7 avril 2022 le Président de l’Arcom donne quinze jours à 5 sites délivrant des prestations numériques à contenu pornographique, notamment le site You Porn, pour mettre en place un contrôle effectif de non-minorité de ses visiteurs. L’Arcom estime en effet que le système consistant à mettre à disposition de l’internaute une case sur laquelle il clique pour affirmer qu’il n’est pas mineur n’est pas suffisamment efficace pour assurer un tel contrôle. Les cinq sites sommés n’ayant pas obéi à l’injonction au motif que cela serait techniquement impossible à mettre en place, le Président de l’Arcom saisit le tribunal judiciaire de Paris, lequel opte tout d’abord pour le renvoi du dossier devant un médiateur. Parallèlement, les sites avaient saisi le Conseil d’État pour contester la légalité du décret du 7 octobre 2021, pris en application de la loi du 30 juillet 2020, qui confère à l’Arcom des pouvoirs à leur endroit. Ils soutiennent en effet qu’étant établis hors de la France, par exemple l’un d’entre eux en République tchèque, c’est la loi de leur pays d’origine qui leur est applicable. Le président de l’Arcom saisit de nouveau le tribunal judiciaire de Paris, cette fois pour obtenir que soit ordonné à des fournisseurs d’accès, Orange, SFR, Bouygues Telecom, etc., de bloquer pour tout internaute l’accès à ces sites pornographiques qui refusent d’obtempérer. Dans un jugement du 7 juillet 2023, le tribunal judiciaire constate qu’il s’agit d’une « cause systémique » puisque l’affaire soulève la question de l’effectivité de l’ensemble du système de supervision, la question de la hiérarchie des normes, de l’effectivité du droit des données personnelles, de la protection des enfants ; ce contentieux systémique appelant ce que le jugement désigne expressément comme un « dialogue des juges ». En conséquence, il décide de surseoir à statuer le temps que la question de la légalité du décret soit tranchée par le Conseil d’État au regard du droit de l’Union européenne. « Dialogue des juges » était le bon mot, puisqu’entretemps la Cour de justice de l’Union européenne rendit une décision le 9 novembre 2023, Google Ireland, qui a fait grand bruit, sur ce sujet même.
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